À vos plumes
Opinion | L’un de ces foyers universitaires étatiques
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Tout a commencé par une demi journée d’attente avec mes lourdes valises dans la cour du foyer. » Le monsieur qui détient les clefs n’est pas encore là « , m’ont-ils dit. Vers 19h, on me fournit enfin les clefs. Je monte et j’ouvre la chambre : 3m x 3m de superficie environ, deux lits, deux petites tables, deux placards et deux étagères accrochées aux murs, le tout entouré par des murs exhalant fort l’humidité, et aménagés d’une façon ridiculement ingénieuse pour que ces 3m x 3m puissent contenir tous ces meubles et deux personnes en plus. D’ailleurs, il ne nous restait qu’un espace d’environ 200cm x 50cm de libre où on pouvait poser les pieds sur le sol puisque mon bureau était collé à mon lit qui lui même était collé de sa largeur au lit de ma binôme de chambre, et aux murs sur les deux autres cotés.
Comprendre le règne du foyer m’a assommée d’un malaise insurmontable; commençons par l’eau chaude des douches disponible 3 fois par semaine seulement. Et puis, et même quand tu acceptes de te doucher à l’eau froide, l’électricité des douches ne te laisse pas faire. Elle n’est disponible que pendant les jours consacrés à cet événement devenu tant attendu. Mais tant pis, tu dois apprendre à vivre avec ta sueur deux ou trois jours même en plein été. Bien-sûr, les toilettes sont collectives ainsi que les éviers de chaque étage qui, quoique généralement bouchés, servent à se laver les visages le matin,et les assiettes graisseuses de leurs sauces rouges, souvent tenaces sur ses parois blanches, le soir.
Chaque jour, le foyer ferme ses portes à 20h et tu dois programmer ta mort sociale et culturelle selon l’horaire de ce grand et morose portail de prison. Et si par mégarde tu te présentes devant ce dernier après 20h, il faudra que tu commences à chercher où passer la nuit sinon, bon courage pour éveiller la pitié des portiers qui eux seuls peuvent te laisser entrer. Et oui, je me suis déjà retrouvée dans la rue la nuit parce que je me suis aventurée à la découverte de la vie nocturne de Tunis jusqu’à 22h. J’ai fini par passer la nuit effondrée sur la table d’une cafétéria à l’aéroport, ouverte 24h/ 24, pratique et très répandue chez les étudiants qui se retrouvent sans toit. Le lendemain, dès les premiers signes du petit matin, je me suis présentée devant le portail du foyer ,c’était un dimanche à 6:30, il était encore fermé .. 7h, ils dorment encore… 8h, exaspérée, j’ai frappé à la porte, le concierge m’a ouvert avec la mauvaise humeur de quelqu’un à qui on a arraché un profond sommeil. Et malgré mon état lamentable et ma simple revendication d’un lit chaud, j’ai eu droit à un questionnaire hostile et inquisiteur avant de pouvoir rentrer: je lui ai dit que j’ai passé la nuit chez ma tante pour m’en sortir.
Dans les foyers étatiques, des règles interdissent d’utiliser tout appareil électronique susceptible de consommer beaucoup d’électricité , ne nous laissant le droit qu’aux chargeurs des téléphones et des ordinateurs portables. Bien sûr, personne ne respectait cette règle. Une fois les portes de nos minuscules cellules fermées, tout le monde profitait. Presque chacun avait chez lui au moins un sèche cheveux et une plaque chauffante (ou une résistance, comme on l’appelle aussi). Je pouvais accepter toutes les concessions à faire vis-à-vis de mon confort, mais pas celle de me passer de la plaque chauffante parce que, figurez-vous, madame ou monsieur dressant ces règles, qu’on n’est pas des rongeurs à poils denses, et que la nuit, collées sur nos chaises de bureau pour réviser, on a vraiment froid. Cette sacrée plaque chauffante ne servait pas qu’à ça; elle nous servait aussi de cuisinière. En effet, sur environ 7 blocs à 5 étages chacun, il n’y a qu’une seule cuisine très éloignée où on trouve que des cuisinières. Pouvez-vous vous imaginer voyager chaque nuit avec vos casseroles et votre nourriture jusqu’à la cuisine pour préparer votre dîner? Les étudiantes avaient du mal à appliquer ça donc la cuisine était toujours tellement inutile et déserte qu’elle me servait de paisible salle de révision.
Vous ne respectez pas les règles invivables de ce foyer ? On ne respecte pas votre intimité, c’est aussi simple que ça dans leurs têtes. De temps en temps, les dimanches très tôt alors que les étudiantes dorment encore, une surveillante tape un ou deux coups assourdissants sur la porte, tourne une clé dans la serrure, entre en toute furie , les assomme de cris et leur confisque tout appareil électronique non permis : C’est leur façon de souhaiter une bonne journée.
Les derniers jours au foyer m’étaient encore plus insupportables que les premiers jours d’adaptation; Vu qu’il n’y avait pas beaucoup d’espace libre dans la chambre, je partageais mon lit avec ma valise qui était allongée plus confortablement que moi sur le bord du lit. Alors que moi, la nuit, je dormais les pieds suspendus sur elle. J’ai fini par avoir des maux de dos et de cuisses insupportables et j’ai dû quitter le foyer sans me retourner en arrière.
Avant, quand j’ai quitté ma famille pour poursuivre mes études à Tunis, je vivais naïvement chaque mésaventure comme un événement inévitable et totalement naturel justifié par ma curieuse découverte de ma nouvelle vie dans la capitale. Aujourd’hui, avec un peu de recul, je plains les autorités de nous avoir fourré dans des trous à rats, je plains le concierge qui m’a crié dessus en me menaçant de ne pas me laisser entrer par ce que je suis allé à l’épicerie d’à coté, et qu’à mon retour il était déjà 20.05 minutes. Je plains le personnel fronçant toujours les sourcils et qui n’est jamais à l’écoute d’une jeunesse fraîchement éloignées de leurs familles. Je plains ceux qui on fait le choix de l’heure de fermeture de ce foyer , très tôt à mon goût , alors que pour les garçons les portes ferment à 21h. Je les plains aussi parce qu’ils n’offrent aucune alternative pour nos problèmes; pas de cuisine équipée? Pas de restaurant non plus. Tu as faim un peu tard la nuit? Il te faut de la chance pour ne pas trouver tes boites de conserve toutes moisies parce qu’en fait, on ne te fourni même pas de réfrigérateur. Pas de chauffage central ? Crève de froid. Je plains ma vie du premier jour au foyer jusqu’au dernier parce que j’étais triste et inconsolable, et en même temps je suis en totale admiration pour toutes celles qui ont pu surmonter tout ça et ont réussi leur années de préparatoire malgré ces conditions.